Docteur en histoire, spécialiste de l’histoire des services de renseignements, le lieutenant-colonel Olivier Lahaie offre à Historail un troisième article, opportun en ce centenaire de la dernière année de la Grande Guerre : où l’on voit que l’observation attentive des mouvements des trains militaires en dit long sur les projets stratégiques que trame l’état-major ennemi.
1918 : les observateurs de voies ferrées dans l’attente des offensives Ludendorff
À la fin de l’automne 1917, consciente du dommage causé par l’espionnage, la police militaire allemande redouble d’activité pour entraver l’action des agents alliés d’observation du réseau ferré ; c’est ainsi qu’elle démantèle 79 organisations de transport de plis secrets, nuisant gravement à l’efficacité du dispositif de surveillance mis en place par l’Entente. Capturés sur dénonciation, plusieurs observateurs finissent devant le peloton d’exécution. Cette baisse de rendement tombe au plus mauvais moment pour les Franco-britanniques. Dans son journal de marche, Joffre – qui redoute une attaque adverse dans un délai relativement proche – note en effet le 2 décembre 1917 : « 1918 a 99 chances sur 100 de débuter par un Verdun ». Incontestablement, compte tenu de la pénurie d’effectifs chez les Alliés, l’initiative est à présent dans le camp des Empires centraux. En outre, l’armée tsariste n’est plus là pour faire contrepoids à l’est. Le généralissime Pétain a parfaitement conscience du déséquilibre des forces, écrivant lucidement dans sa « Directive n° 4 » qu’il faudra chercher à reprendre plus tard l’initiative des opérations, « par une attaque déclenchée en temps opportun, sur un terrain et dans une position jugés favorables » (22 décembre 1917) ; c’est dire s’il accorde de l’importance à tous les rapports de renseignements qui lui signalent des modifications dans l’ordre de bataille adverse.
L’année 1918 commence donc par une angoisse majeure à Paris et Londres, suscitée par la crainte d’un puissant coup de boutoir allemand. La pression que le haut commandement franco-britannique fait peser sur ses services de renseignements (SR) est évidemment énorme ; les observateurs, infiltrés en territoire occupé, acceptent de prendre des risques inégalés dans l’exécution de leurs missions de surveillance. Modernisée, l’aviation est quant à elle en mesure de participer aux missions d’observation en profondeur du réseau ferré ennemi. Fort heureusement, la préparation de ces offensives de rupture, rigoureusement planifiée par Ludendorff, ne passe pas inaperçue puisque le stratège respecte scrupuleusement les imposantes mesures préparatoires que son bureau « Opérations » a dégagé de l’étude de l’affaire de Riga.
Alors qu’en février 1916 l’attaque allemande sur Verdun a été conduite avec 19 divisions, l’offensive de mars 1918 doit en engager 69 ; Ludendorff a prévu de ramener 14 divisions du front oriental et affecte 64 trains à ce transport. 1 900 trains supplémentaires ont été réquisitionnés pour l’acheminement des munitions d’artillerie nécessaires ; dans ces conditions, on comprend que l’effet de surprise soit difficile à obtenir. Cela étant, en janvier-février 1918 encore, « le drame de l’état-major français est qu’il n’est à même de localiser que 49 divisions allemandes de réserve sur les 64 qui peuvent encore permettre à Ludendorff de gagner la guerre ». Fin février, Pétain écrit à son chef de 3e bureau (« Opérations ») : « Étant donné que les Boches ont, sur le front occidental, 50 divisions de plus que nous, des