Sans lui le béton précontraint n’aurait peut-être jamais existé. Et nombre de grands ouvrages n’auraient jamais vu le jour sous leur forme actuelle. Dans le monde entier, il est reconnu comme l’un des ingénieurs les plus innovants de l’histoire de la construction. Eugène Freyssinet, polytechnicien, ingénieur des Ponts et Chaussées, qui disait : « je suis né constructeur », a été à l’origine d’une invention majeure : le béton précontraint. Né le 13 juillet 1879 à Objat, en Corrèze, où vient d’être célébré le cinquantenaire de sa disparition, le 8 juin 1962, l’homme débute à Moulins en 1905 en édifiant des ponts d’intérêt local et trois ouvrages sur l’Allier : le pont Boutiron, du Veurdre et de Châtel-de-Neuvre. Se considérant à vingt ans comme « un artisan complet, aussi capable de trouver la meilleure solution… que d’aider de mes mains à sa réalisation », Eugène Freyssinet ne craignait pas les formules chocs.
« Je tiens que, privé de l’appui de l’expérience, la déduction mathématique n’est qu’une source d’erreurs, d’autant plus dangereuse qu’elle est pleine d’attraits. Il faut bien entendu que l’intention soit contrôlée par l’expérience. Mais quand elle se trouve en contradiction avec le résultat d’un calcul, je fais refaire le calcul et mes collaborateurs assurent qu’en fin de compte c’est toujours le calcul qui a tort. » Séduit par la mise en œuvre aisée du béton, son aptitude à épouser toutes les formes, son coût moins élevé qu’un ouvrage maçonné ou en métal, l’ingénieur va consacrer toute sa carrière à en développer les possibilités. Tout en essayant de parer son plus grand défaut : sa mauvaise résistance à la traction. « L’idée chemine parce qu’il éprouve une réticence instinctive et excessive à l’égard du béton armé qui ne lui paraît pas tirer le meilleur
parti des deux éléments qui le composent : le béton et l’acier », expliquent Franck Guyon, président de l’association Eugène Freyssinet, et Patrick Guiraud, directeur délégué Génie civil à CIMbéton. Plus de deux décennies consacrées aux ouvrages peu ou faiblement armé, sur lesquels il met en œuvre arcs et voûtes pour atteindre une compression naturelle, confirment sa conviction que la compression artificielle et permanente du béton est possible. Entre 1914 et 1928, directeur technique et associé de l’entreprise Limousin, il crée en béton et béton armé usines, affûts de canon, bateaux, les hangars d’Orly pour ballons dirigeables, la halle des messageries de la gare d’Austerlitz (inscrite à l’Inventaire supplémentaire des monuments historiques en février), la gare de Reims (qui a reçu le label Patrimoine du XXe siècle) et une multitude d’ouvrages dont trois ponts représentant chacun un record du monde de portée pour l’époque : à Villeneuve-sur-Lot (69 m), à Saint-Pierre-du-Vauvray (131 m) et le pont de Plougastel sur l’Élorn (trois arcs de 186 m). Son premier brevet, en 1928, décrit un procédé de mise en précontrainte par prétension et fils adhérents, une idée qu’il mûrit depuis 23 ans. Mais sa renommée mondiale, Freyssinet la tient du sauvetage en 1934 de la gare maritime du Havre qui s’enfonçait peu à peu dans la vase ! Ces travaux de consolidation grâce à la précontrainte lui font rencontrer Edme Campenon qui l’aide à développer son invention. Un pas décisif est encore franchi avec l’invention de la précontrainte par post-tension, brevetée en 1939, qui permet de la libérer sans faire appel à des bancs de mise en tension. La création entre 1941 et 1946 du pont de Luzancy, 55 m de portée sur la Marne, marque l’origine d’un nouveau procédé et fait figure d’ancêtre des grands ponts modernes tels que le viaduc de Saint-Cloud, le pont de l’île de Ré et dans une certaine mesure, des ouvrages à haubans comme le pont de Normandie ou le viaduc de Millau. Le processus consiste à préfabriquer les éléments du tablier – les voussoirs – sur la rive, puis à les assembler aux voussoirs déjà posés grâce à un système de câbles provisoires. Une fois tous en place, des câbles définitifs de précontrainte sont enfilés et mis sous tension. C’est le tablier en béton précontraint. Eugène Freyssinet, qui aura déposé plus de 75 brevets, finira sa vie comme conseil de la société Campenon Bernard et de l’une de ses filiales, la Société technique pour l’utilisation de la précontrainte (Stup), créée en 1943 pour « mettre en valeur, défendre et exploiter les procédés nouveaux dont M. Freyssinet est l’inventeur ». En 1976, pour marquer sa vocation internationale et rendre hommage à l’homme dont elle poursuit l’œuvre, la Stup devient Freyssinet International.
Architecture. Eugène Freyssinet, une vie en béton
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