Combien sont-ils, ces chargeurs qui sont passés du train à la route avec la nouvelle politique de Fret SNCF d’abandon de l’activité de wagons isolés jugée pas assez rentable ? Impossible de le savoir, répond l’AUTF (Association des utilisateurs de transport de fret). « Nous n’avons pas réussi à avoir de chiffres. Mais nous recevons de nombreux témoignages de chargeurs qui n’ont plus aujourd’hui d’autre solution que la route », se désole Maurice Desderedjian, le président de la commission ferroviaire de l’AUTF. Seuls les grands clients de Fret SNCF (la chimie, l’agroalimentaire ou encore la sidérurgie) sont en train d’étudier comment se réorganiser en regroupant leurs envois de wagons isolés. « La sidérurgie est particulièrement concernée car 50 % de sa demande de transport concerne du wagon isolé », précise Hervé de Tréglodé, le directeur du pôle commercial de Réseau Ferré de France (RFF). « Ceux qui n’ont pas de grandes capacités de massification se tournent vers la route », poursuit Maurice Desderedjian.
Qui plus est, les prix du transport ferroviaire devraient augmenter sensiblement. De quel ordre ? « Actuellement, il n’y a pas d’offre. Si vous êtes une petite entreprise et que vous faites une demande de transport et de prix à Fret SNCF pour du wagon isolé, on ne vous répond même pas. Tous les jours, je reçois des témoignages de chargeurs qui n’ont plus d’offre ferroviaire », raconte Maurice Desderedjian, également directeur général d’EDF Trading Logistics. Les chargeurs qui peuvent profiter des prix très bas du transport routier, où se livre une compétition exacerbée par la crise, ne sont pas satisfaits. « Les chargeurs restent attachés au mode ferroviaire, même s’il ne marche pas très bien », estime l’AUTF. « La politique de Fret SNCF est regardée avec beaucoup d’attention par les chargeurs. Beaucoup souhaiteraient travailler avec la SNCF, en raison notamment de leurs objectifs de développement durable », confirme RFF.
Mais même du côté des chargeurs, on reconnaît que la nouvelle stratégie de Fret SNCF a du sens. « La SNCF ne peut pas continuer à perdre de l’argent à chaque fois qu’elle transporte un wagon », commente Maurice Desderedjian. L’AUTF regrette surtout que Fret SNCF ne laisse pas assez de temps aux industriels pour adapter leurs plans de transports. Il aurait fallu deux à trois ans pour mener à bien la conversion. D’où cette grande question : « Si les industriels diffus finissent par délaisser le mode ferroviaire, les ITE [Installations terminales embranchées, ndlr] risquent de disparaître. Une fois fermés, ils ne seront plus jamais rouverts. Quand le grand nettoyage sera fait, comment fera-t-on pour faire repartir le fret ferroviaire ? »
Marie-Hélène POINGT