Hongkong de jour, Hongkong de nuit: les deux faces d’une même ville. Verticale comme aucune autre, elle semble changer de tenue à la faveur du soleil, à la faveur de la lune. Les adresses s’y déclinent en étages et, naturellement, on ne fréquente pas les mêmes endroits en pleine journée ou en pleine nuit. Très belle quand on lève les yeux, parfois déroutante quand on les baisse. Le jour, on aime les marchés bondés, les jardins publics où les grands-mères répètent inlassablement leurs mouvements de Taî-chi sur des équipements mis en place par la municipalité. La nuit, on aime le scintillement multicolore des néons. Le jour, on a plutôt des envies de mer. De cette eau vert d’huître et des ferries qui y croisent. De s’embarquer sur celui qui part du port de Wan Chai et qui aborde l’île de Kowloon, avec à son bord son mélange de touristes et de Hongkongais du cru. La nuit, on aime ces bars bondés où des groupes multiculturels enflamment les pistes de danse. Afin de découvrir tous les visages de cette ville, il faut se munir d’un plan de métro et du réseau de la MTR et de beaucoup d’envie.
Commençons par prendre un peu de hauteur, histoire de situer les différents quartiers de la ville, en empruntant le Peak Tram. Depuis plus de 120 ans, le vénérable funiculaire vous mène à Victoria Peak, le point de vue indispensable sur Hongkong. Inauguré en 1888, le Peak Tram est le plus vieux funiculaire à câble d’Asie. Jusqu’alors seule une voiture à porteurs pouvait vous permettre de faire l’économie d’une petite randonnée. Tirées par 1500mètres de câbles, deux voitures d’une capacité de 72 places transportent les passagers de Central jusqu’en haut du « Peak ». La ligne compte cinq stations. Aujourd’hui, le funiculaire est exploité par le groupe Hongkong and Shanghai Hotels, également propriétaire de l’infrastructure. La gare de départ, Peak Tram Lower Terminus, ne se situe pas très loin de la station Central. De la terrasse posée à exactement 428 mètres au-dessus du niveau de la mer, sur la Peak Tower, vous pourrez admirer au premier plan la silhouette effilée des gratte-ciel de l’île de Hongkong, la mer et au second plan Kowloon et, par beau temps, les Nouveaux Territoires. Un musée retrace depuis 2007 l’histoire de Hongkong en parallèle de celle de son funiculaire emblématique. Vous pourrez y admirer une réplique de la première génération de matériel.
Les quartiers de Central et d’Admiralty représentent le quartier des affaires et partout, les tours vous y dominent. À force d’essayer d’en mesurer la hauteur, la nuque devient douloureuse. Mais, malgré une urbanisation insatiable, il subsiste quelques traces architecturales du passé britannique et tout d’un coup surgit le clocher d’une église, minuscule entre les gratte-ciel géants. Un héritage notamment présent à la station Sheung Wan avec le Western Market et son architecture édouardienne. Construit en 1906 et rénové en 1991, ce bâtiment de briques rouges, avec ces belles arches de granit, abrite aujourd’hui des magasins d’artisanat et des restaurants, mais il fut construit à l’époque pour reloger les commerçants des vieilles ruelles de Central, aujourd’hui disparues.
Pas loin de la station Central, Hongkong a hissé les escaliers mécaniques au rang de moyen de transport, avec les escalators de Central – Midlevels qui se révèlent être les plus longs du monde en extérieur, près de 800mètres, entre Central et Western. Construits en 1993, ils permettent de grimper les 135 mètres de dénivelé en 20minutes. Ils sont rapidement devenus une part de l’identité de ce quartier et ont été exploités par les cinéastes, du Chungking Express de Wong Karwai au Batman, The Dark Knight de Christopher Nolan. Tout autour, restaurants et bars drainent une foule de noctambules.
Il existe à Hongkong une liberté d’expression inconnue en Chine continentale (voir encadré Un pays, deux systèmes). Ainsi, lorsque vous vous baladez dans Soho (SOuth HOllywood Road), un quartier à proximité duquel passe l’escalier mécanique, faites un petit tour dans les galeries d’art et dans les lieux alternatifs, vous serez étonnés par certaines oeuvres des artistes locaux. Ici, on ne craint pas de critiquer ouvertement le parti communiste chinois, le gouvernement local ou de caricaturer Mao. Chose impensable sur le continent. Le quartier est également un endroit très fréquenté pour sortir boire un verre ou écouter un groupe de musique. Jeunes Hongkongais, expatriés, touristes: tous se retrouvent pour fêter le plaisir d’être ensemble.
Le lendemain matin, il est temps de pratiquer un sport incontournable de Hongkong, le shopping ! Direction donc la station de Causeway Bay où les boutiques de grandes marques, et une multitude de restaurants ne désemplissent pas en cette période de Noël. Surnommé « les jeux olympiques du shopping », le lieu demande une bonne dose d’énergie et des jambes solides. Il faut se frayer un chemin à travers une foule si compacte que si vous ne jouez pas des coudes, vous risquez de faire du surplace. Dans ce temple de la consommation assumée, il est conseillé de garder la tête froide. Vous n’êtes pas loin de l’imposant Hongkong Convention and Exhibition Centre et de sa promenade où une drôle de faune a élu domicile. C’est le quartier où de jeunes adolescents se déguisent en personnages de mangas japonais et prennent la pause devant la baie de Kowloon. En plein mois de décembre, le soleil brille dans un ciel sans nuages et l’air de la mer permet de respirer après la cohue des centres commerciaux. Vous êtes alors à deux pas de Wan Chai et du port où le Star Ferry appareille depuis plus d’un siècle pour transporter les Hongkongais de l’île de Hongkong jusqu’à Kowloon. Ces navires historiques permettent de découvrir un nouveaupoint de vue sur l’île de Hongkong et Kowloon, dont les gratte-ciel conçus selon les normes du Feng Shui vous dominent alors que le lent roulis du ferry vous berce. Si vous avez le mal de mer, traversez en métro et commencez par descendre à la station de East Tsim Sha Tsui et parcourez la promenade juste au bord de l’eau. Ce n’est certes pas le Walk of fame d’Hollywood Boulevard, mais l’Avenue of Star à Kowloon permet également de marcher sur des « étoiles », celles du cinéma hongkongais.
Des acteurs comme Maggie Cheung, Jackie Chan ou Chow Yun Fat, des réalisateurs et producteurs comme Tsui Hark, Wong Kar-wai ou John Woo: tous les grands noms de l’industrie cinématographique locale sont présents. Bruce Lee a également droit à une statue, immortalisé alors qu’il semble s’apprêter à donner un coup de pied chassé dans le front d’un opposant. De nombreux touristes de Chine continentale s’arrêtent pour être pris en photo avec celui qui a, le premier, popularisé le cinéma de Hongkong un peu partout sur la planète. Pendant des décennies, l’ampleur de sa production classait ses studios juste après Hollywood et Bollywood.
Hongkong, qui signifie littéralement le Port aux parfums, n’a pas usurpé son nom. Si vous voulez le vérifier, prenez le métro et arrêtez-vous à la station Prince Edward. Partout le sens olfactif est mis à contribution, mais surtout dans ce quartier, où se presse une foule dense d’acheteurs compulsifs. Dans les nombreux marchés en plein air du quartier, il y en a pour tous les goûts. Pour le meilleur et pour le pire. Le meilleur, comme une petite visite au marché aux fleurs sur Flower Market Road (station Prince Edward, sortie B2). Le pire, comme une petite visite au marché des poissons rouges sur Tung Choi Street North, où l’odeur est si forte qu’on la goûte avec la bouche, autant qu’on la sent avec le nez. On s’émerveille tout de même de la diversité des poissons qui y sont vendus. Un peu plus au sud, le quartier de Mongkok affiche la plus grande densité de population du monde avec 130000 habitants au kilomètre carré.
Arpenter tous ces marchés creuse l’appétit et justement à proximité se trouve Tim Ho Wan, sur Kwong Wa Street. Ce restaurant de Dim Sum de Kowloon est l’étoilé Michelin le moins cher du monde. Une queue perpétuelle de gourmands patiente afin de goûter les divines bouchées qui sortent de cette cuisine minuscule. Dès que vient son tour et qu’un client pénètre enfin dans la petite salle bondée, son visage s’éclaire, ses yeux brûlent d’une flamme toute particulière : il va enfin pouvoir manger. Prix d’un repas pour deux : 15 euros. À peine installé, tout va très vite : les Dim Sum brûlants atterrissent sur la table à un rythme infernal. Pas le temps de souffler, on est là pour manger. Pas de service pompeux, pas de décoration travaillée. Non, ici, tout se passe dans l’assiette. Il n’y a rien autour des clients, rien qui pourrait les déconcentrer. Ils s’intéressent uniquement à ce qui se passe entre la cuisine et leur table. Le reste n’a aucune importance. Dans cet espace ridiculement petit, cinq serveuses s’occupent de la salle. Il faut dire que ça sort de la cuisine à toute vitesse. Elles ont tout de même le temps de plaisanter avec les clients, la cuisine ou entre elles. Les clients, eux, ne sont pas là pour causer ou s’amuser. Des mines satisfaites, des « mmm » de plaisir, c’est tout. Ici, on se tait, tout mot est vain.
Afin d’achever dignement ce séjour, rendez-vous à 200mètres au nord de la station Tsim Sha Tsui, afin d’emprunter les ascenseurs de la tour The One pour s’installer sur la terrasse extérieure du Wooloomooloo, au 21e étage du 100 Nathan Road. On sirote un cocktail en pensant à l’avenir de cette anomalie culturelle qu’est Hongkong. On surplombe Kowloon, la mer et l’on jouit d’une vue imprenable sur l’île de Hongkong, Victoria Harbour et sur tous ces immeubles rivalisant par leur taille, leur architecture et la multiplicité de leurs néons multicolores. En ces périodes de fêtes, certains arborent d’immenses décorations de Noël qui brillent et clignotent, colorant la mer de rouge, de jaune, de vert. Au second plan, la colline a pris les dehors de la voie lactée. Tout en bas, les trottoirs sont assaillis, les gens ont des achats plein les bras. Ils sont si loin, si minuscules qu’on se prendrait presque pour un Dieu observant la masse informe de son troupeau. D’ici la ville est étrangement calme, mais c’est un trompe l’oeil. Nous sommes si haut qu’on n’entend ni les Klaxons, ni la musique d’ascenseur aux accents de Noël qui s’échappe des magasins. Partout l’esprit de Noël se mélange avec la culture chinoise et cohabite sans souci avec elle dans les volutes blanches des bâtons d’encens qui se consument devant les temples bouddhistes.
La Région administrative spéciale conserve pour l’instant son caractère unique, mais son statut particulier est limité dans le temps et en 2047, elle devrait devenir une ville chinoise presque comme les autres. Aujourd’hui, la ville est à la croisée des chemins entre son héritage britannique et son avenir chinois. Mais pour l’instant, Hongkong reste ce lieu hors norme où l’Oriental et l’Occidental se fréquentent, se mélangent et créent une histoire commune. Une histoire à découvrir.
Samuel DELZIANI