Historail a déjà publié les souvenirs du conducteur René Roy affecté aux essais de TGV à partir de 1980 : une période de sa carrière exceptionnelle, riche en souvenirs heureux… Auparavant, il eut à conduire de nombreux types de locomotives. Ici, il nous livre pourquoi il eut à maudire un certain jour d’octobre 1962, en tête de la BB 9432, l’une de ces BB 9400 chères à Nouvion pour leur légèreté, dites « Vespa » pour leur look galbé, mais aussi « cercueils roulants » en raison de la légèreté de la protection en cas de choc en cabine…
Me voilà donc ce 1er mai 1962 nommé élève conducteur au dépôt de Paris-Charolais. Ma formation a lieu au dépôt de Villeneuve-Saint-Georges.
Mon premier train est un train de banlieue. Départ voie C en gare de Paris-Lyon pour Combs-la-Ville avec deux éléments 5100 composés de deux voitures, soit quatre véhicules. Engin à démarrage rapide, Combs-la-Ville est atteint en 24 minutes.
Les jeunes élèves alternent des périodes d’aide-conducteur, de conducteur de manœuvre sur locomotives diesels-électriques 040 DE devenues BB 63000 et électriques BB 1600 ainsi que tous les trains du dépôt ne dépassant pas la vitesse de 120 km/h. Les machines sont diverses : BB 1 à 80 simple, mais aussi en double traction et en tête de rame réversible à 90 km/h, les 2D2 9100, les BB 9200/300, les CC 7100, les BB 9400/500 ainsi que des séries prototypes BB 9001 et 2 et les très esthétiques BB 9003 et 4. Jeunes élèves conducteurs, « bouche-trous par nature », nous sommes ballottés ici et là du service banlieue, aux « patachons » au départ de Villeneuve-Saint-Georges ou de Valenton, aux manœuvres à Bercy ou pour assurer la réserve au Charolais. Le champ d’action va jusqu’à Dijon-Gevrey. Le sac est lourd, chargé de tous les documents mis à jour presque à chaque prise de service. Le drap dans un long sac au bout duquel est accrochée la grosse lampe de sécurité fait que nous ne passons guère inaperçus. De temps à autre, nous sommes incorporés au roulement en remplacement de titulaires en congés. Quoique les roulements soient assez « tendus », leurs aspects prévisionnels permettent une meilleure organisation familiale. En effet, en plus des 18 jours de congés annuels, nous avons en moyenne neuf fêtes et 52 dimanches annuels soit donc, toujours en moyenne, 79 jours de congés sur 365 jours. Ces congés sont très souvent en dehors des périodes de vacances scolaires, de fêtes et autres réunions sociales.
Je suis en service facultatif et ce 5 octobre 1962, je suis incorporé dans le roulement 120. Oh ! Pour un aller-retour seulement. Je dois assurer le 44621 de Tolbiac à Dijon. Le sous-chef de dépôt m’a donné la BB 9432. Quoique machines récentes – la 9401 est sortie d’usine en 1960 –, elles ne sont guère appréciées du personnel de conduite. Machines de 59 t, munies seulement de deux moteurs en liaison aux deux essieux des bogies, en font une disposition intéressante mais pénalisée par sa trop grande légèreté. D’autre part, ces machines sont très bruyantes, cabines peu isolées, ventilation forcée puissante, munies du H7A (sauf la fin de série) dont l’évacuation de l’air se fait directement en cabine ainsi que les électrovalves du sablage et serrage local antipatinage… Je ne suis pas ravi mais réalise la préparation de l’engin quand je vois arriver mon aide-conducteur. Ce n’est que mon ami Roger Lévèque qui est, comme moi, élève conducteur au dépôt de Paris. Je suis enchanté d’avoir un tel compagnon. Pourquoi moi titulaire et Roger aide ? Mystère de la commande. Nous sortons du dépôt à l’heure, passage en plaque et demi-tour au butoir sud puis direction la gare de Paris-Lyon via les sablières. Re-changement d’extrémité puis nous sommes dirigés vers Tolbiac par un pont enjambant la Seine.