Le genre biographique est moins prisé dans l’histoire des chemins de fer que les monographies documentaires sur tel type de matériel ou telle ligne. Comme le fut André Chapelon dans le domaine de la locomotive à vapeur, Fernand Nouvion incarne une révolution technologique aboutie en concrétisant les vues de son « patron » Louis Armand, la rupture avec le courant de traction 1 500 V continu, imposé en 1920. Ceci est fort bien connu, mais il est rare aussi de disposer des archives personnelles d’un ingénieur « homme du tas », armé d’un redoutable franc-parler qui plus est ! Dont les convictions en matière de conception d’un matériel aussi simplifié que possible, donc plutôt bon marché et fiable, n’ont pas toujours été entendues en haut lieu… Un portrait à contre-jour en somme…
Disposant de documents inédits, notre projet de consacrer un long dossier à l’ingénieur Nouvion s’est trouvé conforté grâce à un fonds d’archives personnelles déposées à l’association Rails & histoire et qui n’avaient jamais été jusqu’alors exploitées : quatre cartons dont on peut dire avec certitude qu’il s’agit de documents, articles techniques, coupures de presse, notes manuscrites auxquels Nouvion tenait particulièrement. Tel l’important dossier consacré à ses interventions en Inde, d’où l’exportateur du fameux « courant 50 Hz » tira sa plus grande fierté. Je remercie vivement Bruno Carrière d’avoir mis à ma disposition ce fonds. C’est lui aussi qui me communiqua le « tapuscrit » d’une biographie de Nouvion, reçue, il y a longtemps, à La Vie du Rail, tout en étant incapable d’en identifier l’auteur qui le proposait vraisemblablement pour être édité. Sans relance de l’auteur, oublié, ce travail nourri d’entretiens (sans doute enregistrés) avec Nouvion et de proches ingénieurs, méritait donc d’être exploité ! En quête de ce biographe, un appel fut lancé dans l’hebdomadaire La Vie du Rail, appel resté vain. Notre devoir est de le rendre public, les droits de l’auteur étant réservés selon la formule consacrée. Sont publiés les extraits les plus neufs, les plus vivants : reproduits entre guillemets et en grisé étroitisé, sans altération afin de respecter et d’apprécier un indéniable travail de grande qualité.
La postérité d’un ingénieur exceptionnel
Rappelons que l’on peut venir à Rails & histoire écouter une interview enregistrée par Alain Beltran et Jean-François Picard le 25 octobre 1990 à l’UIC, dans le cadre de leur recherche sur les origines du TGV. Nous avions eu le plaisir nous-même de l’interviewer, ce à quoi il ne répugnait pas, mais par malchance, le magnétophone n’avait rien enregistré ! Bien entendu, d’autres recherches et publications ont traité de Nouvion : Clive Lamming, dans sa thèse, puis dans le livre publié, pointe le promoteur du bogie monomoteur et de la bi-réduction. L’historien japonais Terushi Hara a rappelé que les Japonais étaient présents lors des deux records de 1955. Grâce au témoignage d’Yves Machefert-Tassin, on a dévoilé ici l’entente entre les deux constructeurs en lice pour se déclarer ex aequo et partager une égale gloire médiatique. Si Jean-François Picard rappelle bien l’esprit particulier qui animait la DETE, François Caron évoque très succinctement le rôle personnel de Nouvion, cité seulement deux fois ! Dans son Dictionnaire, si Clive Lamming en fait de manière erronée un X (« après de brillantes études [Polytechnique et Supélec] »), mais résume bien son obsession du moindre coût et ses vaines préconisations dans le domaine de la grande vitesse : « Toujours à la recherche de progrès pouvant concourir à faire baisser le coût de possession du matériel (bien avant que le terme soit mis à la mode), il encourage les industriels à mettre en œuvre les techniques nées aux États-Unis. (…) Au début des années 1970, il est au cœur d’un grand débat à la DETE dont il est le directeur : Nouvion est adversaire d’un TGV sous la forme de rames automotrices non modulables et partisan, non écouté, de couplages de locomotrices CC 7100 carénées et à rapports d’engrenages modifiés, encadrant des rames de voitures UIC modifiées pour la grande vitesse, le tout formant des rames modulables à la façon de l’ICE. » Terminons en signalant que Nouvion est l’un des très rares ingénieurs techniciens du rail à avoir eu sa notice dans le Who’s who, dans les années 1990, qui énumère quelques échelons de sa carrière, – « chef de section (1933-1935), inspecteur divisionnaire, chef d’arrondissement (1940-1944), ingénieur général (1958-1970) » –, mais rappelle aussi ses distinctions et prix scientifiques, ses enseignements à Sup’Élec (1957-1970) et à l’École spéciale des travaux publics (1950-1970).