Paris a son funiculaire, Valparaiso ses ascenseurs, Rio son tramway, Lisbonne, elle, a tout ça. Et bien plus encore. Très pratiques pour découvrir la capitale la plus à l’ouest du continent européen, ces modes de transport en commun atypiques permettent de s’affranchir du relief de la cité installée sur sept collines. Et d’en découvrir tous les trésors…
Romains, Suèves, Wisigoths, Maures et chrétiens de la Reconquista, depuis toujours les « visiteurs » investissent le sommet de cette colline où trône aujourd’hui le château de Saint-Georges afin d’embrasser du regard Lisbonne et le Tage. Point culminant de la capitale portugaise, cette place forte permet d’apprécier le relief de la cité. Tour à tour forteresse militaire, demeure royale et prison, le lieu est aujourd’hui une attraction majeure de la ville.
De son chemin de ronde, on mesure la beauté du paysage à travers les meurtrières et les créneaux du parapet surplombant les remparts. Idéal pour repérer les différents quartiers avant de partir à leur découverte. On songe à l’enfant du pays, Fernando Pessoa, qui écrivait « Et les dômes, les monuments, les vieux châteaux surplombent la masse des maisons, tels les lointains hérauts de ce délicieux séjour, de cette région bénie des dieux. » Lisbonne s’est installée sur sept collines, certains quartiers sont si pentus que les mollets s’en souviennent. Cette ville en étages s’est heureusement équipée de trois funiculaires et d’un ascenseur dès la fin du XIXe siècle et son système de transport public s’est développé au début du XXe siècle en parallèle de l’agglomération. Aujourd’hui, son tramway est d’ailleurs devenu une icône de la ville auprès des voyageurs du monde entier.
En descendant du château de Saint-Georges, la Mouraria offre ses ruelles en pente, ses petites places pavées, un dédale d’immeubles blancs décatis où le linge des habitants sèche aux fenêtres. Très animé, ce labyrinthe, longtemps oublié des circuits touristiques, doit son nom aux Maures qui y avaient élu domicile, il y a près de neuf siècles. Lors de la Reconquista, les musulmans sont expulsés et les mosquées sont transformées en églises dans toute la cité. Seule la Mouraria conserve une population musulmane jusqu’au XVIe siècle. Quartier multiethnique et très populaire, c’est dans ses venelles qu’est né le fado au XIXe siècle avant de devenir la complainte de toute la ville. Par contre, ne traînez pas trop une fois la nuit tombée. Le quartier reste un lieu où prostitution et trafic de stupéfiants empoisonnent la vie des habitants et où perdurent des problèmes de sécurité récurrents. Si vous désirez découvrir les charmes de la ville lorsqu’elle se décide à faire la fête, vous passerez probablement par le Bairro Alto. Rua São Paulo, en bas d’un immeuble, une petite entrée permet d’accéder au funiculaire du Bica. Inauguré en 1892, il fait entendre les grincements de sa cabine dans les immeubles qui le surplombent et doucement vous transporte jusqu’au Bairro Alto. Ce quartier emblématique des nuits lisboètes présente deux visages. Sa face diurne est un quartier populaire. Sa face nocturne est le paradis du fêtard. Partout, une foule se presse autour du comptoir des bars, parfois minuscules, et souvent le prolonge jusqu’au trottoir. Musique à plein volume, on progresse difficilement tant la foule est compacte jusqu’à une heure avancée de la nuit. Et à Lisbonne la nuit est longue. Le matin, on soigne les conséquences des excès de la veille dans le quartier chic de l’Avenida da Liberdade, l’avenue du shopping chic, où se mêlent enseignes de luxe et boutiques de jeunes créateurs, bordée de larges promenades protégées par de grands arbres. On sirote un duplo (un double café) installé dans l’un des kiosques de l’avenue en hésitant. D’un côté, le funiculaire de Lavra est le plus ancien de la ville. Il relie l’Avenida da Liberdade à la charmante colline de Sant’Ana par une pente abrupte (23 %), la plus importante des trois funiculaires. Le jour de son inauguration en 1884, il est resté en service près de 16 heures, transportant près de 3 000 personnes.
De l’autre côté, le funiculaire de Gloria. Ouvert au public l’année suivante, il permet de gravir les 276 m de pente qui séparent l’Avenida da Liberdade du quartier de Rossio et il est aujourd’hui le plus utilisé des trois funiculaires. De la place Restauradores, vous pouvez ainsi vous rendre en quelques minutes au Miradouro de São Pedro de Alcântara au-dessus du Bairro Alto, où vous pouvez savourer un point de vue sur le Tage, le château de Saint-Georges, le fameux quartier médiéval de l’Alfama, le plus ancien et le plus visité de la ville. Si vous avez le temps, empruntez les deux funiculaires. Ensuite revenez sur la Praça dos Restauradores pour vous diriger vers le sud et la gare de Rossio. Au nord de la place Dom Pedro IV, ce bâtiment de la fin du XIXe siècle constitue un bel exemple du style néomanuélin. Autrefois connu comme l’Estaçao central, il était la gare la plus importante de la ville. Aujourd’hui, elle permet toujours de se rendre à Sintra, une ville inscrite au Patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco, au nord-ouest de Lisbonne.
Ensuite, pénétrez dans le quartier Baixa. Rapidement vous verrez se profiler la silhouette imposante de l’Elevador Santa Justa. Conçu par l’ingénieur Raoul Mesnier du Ponsard (voir encadré), ses travaux débutent en 1900 et, en 1902, l’ascenseur est inauguré. D’abord à vapeur, il est électrifié en 1922. Il est devenu le principal monument de ce quartier commerçant, dont il permet de surplomber le quadrillage géométrique dessiné par le marquis de Pombal à la suite du tremblement de terre de 1755 qui a quasiment détruit l’ancienne Lisbonne. La « ville basse » était alors un exemple de modernité, notamment grâce à ses constructions « antisismiques » pour l’époque. L’ascenseur permet de s’affranchir des trente mètres qui séparent Baixa du Chiado et de l’ancienne église gothique de la capitale, l’Igreja do Convento do Carmo qui s’écroula lors du séisme, et ne fut jamais reconstruite. Ses arches sont toujours debout formant une ossature de pierre qui se détache en dentelle sur le ciel mouvant. Vous jouissez d’une vue imprenable sur l’ancien couvent quand vous empruntez la passerelle qui mène à la sortie de l’ascenseur.
Autre quartier, autre époque, autre Lisbonne : à Belém, on s’attendrait presque à voir la caravelle de Vasco de Gama appareiller pour s’élancer vers l’océan et découvrir la voie maritime vers l’Inde, les voiles gonflées par le vent et le désir de conquête. Le visiteur s’offre une bulle temporelle dans ce Portugal qui domina les mers, donc le monde, pendant plusieurs siècles et dont la culture a essaimé un peu partout sur la planète, du Brésil à Goa, en passant par le Mozambique et Macao. L’âge d’or de Lisbonne s’est construit sur les richesses des mines brésiliennes et des épices indiennes. Le monastère des Jerónimos, dont la construction débutera en 1501 et ne s’achèvera qu’un siècle plus tard, doit sa prospérité et son opulence à cette gloire passée.
Mais Lisbonne n’est pas une ville prisonnière de son héritage historique. Sur la route de Belém, la LX Factory est une réhabilitation réussie de friches industrielles qui permet de découvrir de jeunes créateurs, des lieux alternatifs. Tous les dimanches s’y tient une brocante très fréquentée par les familles. L’endroit idéal pour se confronter à l’avenir de la ville. Avec l’Exposition universelle de 1998, Lisbonne a définitivement quitté la torpeur du
siècle qui s’achevait. La partie orientale de la ville, sur les bords du Tage, a été complètement réhabilitée. Le Parc des Nations est né de cette réhabilitation, ainsi que la gare de l’Orient, une gare intermodale dessinée par l’architecte espagnol Santiago Calatrava, à qui l’on doit également la gare de Lyon-Satolas. C’est la gare du retour, celle des trains internationaux. C’est donc avec l’image d’une capitale résolument moderne que nous quittons Lisbonne en récitant cette sentence de Fernando Pessoa, dont le chapeau et la paire de lunettes vous suivent ici partout : « Nous vivons tous, ici-bas, à bord d’un navire parti d’un port que nous ne connaissons pas, et voguant vers un autre port que nous ignorons ; nous devons avoir les uns envers les autres l’amabilité de passagers embarqués pour un même voyage… » Une certitude s’impose : heureux le voyageur qui choisit Lisbonne comme escale et le Lisboète comme compagnon de voyage.
Samuel Delziani