C’est une vedette qui est au centre de l’univers du dernier album de
François Schuiten paru chez Casterman. Une superbe locomotive à vapeur
dotée d’un carénage aérodynamique comme on les appréciait dans ces
années d’avant-guerre. La 12004 est en effet la dernière machine
rescapée d’une série prestigieuse conçue dans les années 1930 pour les chemins de fer belges. Destinées aux grandes vitesses, les six machines produites en 1938 atteignent ainsi les 140 km/h en trois minutes.
Ces performances exceptionnelles vont permettre à la 12 de décrocher en 1939 le ruban bleu de record de vitesse commerciale. Après guerre, le
déclin va peu à peu s’amorcer tandis que la vapeur apparaît de moins en
moins comme une solution d’avenir pour les exploitants. La 12 va
pourtant rester mythique tant par ses formes que ses performances. Son
dernier train, un Lille – Bruxelles, le 29 juillet 1962, tracté par la
12004 marque la fin (provisoire) des 12000. Ensuite, l’histoire et la
légende se confondent. Comment la 12004 a-t-elle été sauvée du
ferraillage ? Des cadres tractionnaires l’ont-ils fait discrètement
décrocher d’un convoi en partance pour la démolition ? Quoi qu’il en
soit, la machine restaurée malheureusement non roulante constitue
aujourd’hui l’une des pièces maîtresses du futur musée « Train World »
des chemins de fer belges qui sera scénarisé par Schuiten. Pour l’heure,
elle est entreposée à Louvain avec tout le matériel préservé.
C’est
une véritable histoire d’amour que Schuiten partage avec cette machine.
Son album raconte l’histoire d’un vieux mécanicien Léon Van Bel qui
lutte avec sa locomotive face au progrès incarné par le transport aérien
électrique. Dans un monde menacé par la montée des eaux, Van Bel croit
encore que sa 12, La Douce, a un rôle à jouer. Lui seul peut la mener à
destination dans un environnement de plus en plus hostile. Tandis que
ses collègues se reconvertissent dans le téléphérique, le vieux mécano
se bat pour empêcher sa machine de partir à la casse. Un soir, il la
subtilise et la cache dans un hangar. Découvert et radié pour vol de
matériel, La Douce reste son obsession. Accompagné d’une jeune fille de
cheminots, Elya, il part à la recherche de sa machine pour la sauver de
la démolition.
Difficile de ne pas faire un parallèle entre l’univers poétique de La Douce et le destin de la 12004. La fascination qu’exerce la locomotive sur Van Bel trahit celle de Schuiten. La lutte pour la sauvegarde du chemin de fer souvent présenté comme dépassé face à d’autres transports est toujours d’actualité. En couverture intérieure de l’album, le lecteur est invité à partager cette fascination pour La Douce par le biais d’une expérience de réalité augmentée. Réalisé en collaboration avec Dassault Système, un site internet permet de voir s’animer la machine en 3D et de rejoindre Léon Van Bel dans l’univers de François Schuiten.
Philippe-Enrico Attal