Le tramway sur pneus ne fait plus parler de lui à Nancy. Un bon signe ! Pourtant, la nette amélioration de son fonctionnement ne veut pas dire qu’il n’y a plus de problèmes… Justement, parce que le public est au rendez-vous. « On est déjà presque à saturation, constate Thierry Marchal, le directeur général adjoint des services de la communauté urbaine du Grand Nancy. On n’a pas plus de 25 véhicules, on ne peut pas les allonger, et Bombardier n’en fait plus. En plus, on en a toujours un certain nombre en rade, qu’ils soient en maintenance ou en réparation. »
Pour faire face à la demande, il faudrait donc augmenter les cadences, et donc améliorer la vitesse commerciale, qui ne dépasse pas les 15 km/h. Or le tram perd pas mal de temps en station – et elles sont nombreuses, et très rapprochées –, et surtout lorsqu’il « droppe » et « dédroppe » pour entrer et sortir des sections où il est guidé. Quatre manœuvres par voyage, qui exigent autant d’arrêts… « Bombardier l’avait vendu comme un système très souple », et il ne l’est pas tant que ça, pointe Thierry Marchal. En revanche, note-t-il, « là où il n’est pas en site propre, on ne peut pas considérer qu’il perd du temps ». De toute façon, ajoute-t-il, « on est déjà à 4 minutes 30 aux heures de pointe, dans un site très urbain ; on s’aperçoit qu’on aura du mal à descendre plus bas si on ne veut pas détériorer tout le fonctionnement de la ville ».
Que faire ? Le Grand Nancy n’est pas vraiment intéressé par l’achat de rames supplémentaires au cas où Bombardier relancerait ses chaînes pour satisfaire Caen (qui, elle, est demandeuse). Les démêlés de ces dernières années ont rendu exécrables les relations avec le constructeur. En outre, la publication en novembre du rapport d’un expert mandaté par le tribunal administratif n’incite guère à l’optimisme. Il relève en particulier que si les coûts de maintenance devaient pouvoir être abaissés au niveau promis à l’origine par Bombardier, le vieillissement du matériel entraînerait des dépenses supplémentaires à relativement court terme. Or la fréquentation de la ligne devrait encore augmenter car l’agglomération a de nouveaux projets sur le tracé…
Pour faire face à la saturation qui menace, la communauté urbaine compte donc agir sur plusieurs fronts : négocier avec les institutions desservies un étalement de leurs horaires de façon à pouvoir déverser le trop-plein des heures de pointe vers les heures creuses, doubler la ligne par une ligne de bus « campus » – prévue pour la rentrée de septembre – qui irriguera les facultés et… envisager sérieusement le remplacement du TVR par autre chose.
« On a eu des vicissitudes, pour employer un mot faible, avec la ligne 1, note Christian Parra, le vice-président du Grand Nancy, chargé de la politique des transports. Cela dit, nous avons quand même, et j’ose dire paradoxalement, le succès au rendez-vous. Car le tracé de la ligne était un bon choix ! » L’élu, qui était déjà responsable du dossier lors du choix du TVR à la fin des années 1990, n’a pas de mal à expliquer les décisions de l’époque. « On ne l’a pas acheté sur catalogue. Les rapports allaient tous dans un sens très positif, et il y a eu une validation du matériel signée par un ministre que la décence m’empêche de nommer ici (Jean-Claude Gayssot, ndlr). Dans le matériel existant et validé à l’époque, on a choisi ce qui semblait répondre le mieux à nos besoins. On voulait quelque chose qui puisse monter les pentes. Et on a fait les comptes : avec ce que proposait Bombardier, on pouvait réutiliser une partie des infrastructures aériennes du trolleybus, et on n’était pas obligés de construire une ligne pour le dépôt. Cela dit, si Alstom avait pu nous proposer un matériel sur deux rails qui montait les pentes, je pense qu’on l’aurait choisi – à condition qu’il ne coûte pas beaucoup plus cher. Au vu de ce qui se fait aujourd’hui, évidemment qu’on aurait pu faire un autre choix. Mais, à l’époque, on n’avait pas d’alternative. »
Tirant les conséquences de ce choix – et peut-être parce qu’il faut limiter les dégâts –, le Grand Nancy a convenu de poser sérieusement en 2013 la question du remplacement du TVR sur la ligne 1. Pourquoi 2013 ? Les mauvaises langues diront que c’est pour proposer quelque chose avant les municipales de l’année suivante. En fait, l’agglomération devrait alors avoir une ligne 2 flambant neuve, et même une ligne de bus à haut niveau de services préfigurant une future ligne 3. Elle aura alors réalisé – avec deux ans de retard – l’armature préconisée par son PDU et pourra s’occuper de l’amélioration de l’existant.
Ce système à trois lignes n’est pas une nouveauté : il reprend et prolonge le tracé des trois axes de TVR que la communauté urbaine prévoyait pour 2006 il y a une dizaine d’années. Axes qui eux-mêmes correspondent en grande partie aux lignes de trolleybus installées au début des années 1980 et dont l’essentiel des installations électriques est toujours en place.
De trolleybus, il en est à nouveau question à Nancy. Pour la ligne 2 (nord-ouest – centre – sud-est), dont le potentiel est évalué à 25 000 passagers par jour, l’agglo s’intéresse à un modèle moderne à guidage optique. C’est-à -dire au Civis version trolley qu’Irisbus a vendu à Bologne, en Italie (et auquel s’intéresse aussi Valenciennes). Longue de 11 km et perpendiculaire à la ligne 1, la 2 sera comme son aînée, en site propre sur sa partie centrale et mêlée à la circulation générale aux extrémités (peu encombrées). Il y en a pour 168 millions d’euros, la mise en service étant prévue pour le début 2013.
Quant à la ligne 3, une boucle sud – ouest – centre – est reprenant une branche de la ligne 1 abandonnée à cause des déboires du TVR, elle ne figure pour l’instant qu’en pointillés sur les plans du Grand Nancy. Mais son tracé devrait se préciser assez rapidement, puisque l’ouverture d’une ligne de bus à haut niveau de services (BHNS) est annoncée pour 2013, en même temps que la ligne 2. « Pour l’instant, on prévoit 15 000 voyageurs par jour. Mais il n’est pas impossible qu’elle passe ensuite du BHNS au vrai TCSP, indique Christian Parra. Car à l’est, on a une zone de 220 ha libres à urbaniser. C’est beaucoup, 220 ha ! On ne sait pas encore ce qu’on va y faire, mais on aura sans doute des entreprises, de l’habitat… Comme on ne sait pas bien ce qu’on mettra dessus, on ne sait pas bien combien on aura de clients. Mais la 3 devrait logiquement dépasser la 2, d’où une réflexion sur un passage à un mode plus lourd. »
Cette réflexion est donc annoncée pour 2013. Avec la volonté de lier l’éventuelle promotion de la ligne 3 et l’éventuel changement de mode de la ligne 1 qu’elle complète. « La 1 et la 3 sont intimement liées, insiste Laurent Garcia, jeune vice-président du Grand Nancy, chargé des lignes de TCSP. Rien n’est arrêté, rien n’est figé, mais ce n’est pas déconnant d’imaginer qu’il puisse y avoir une harmonisation du matériel pour deux lignes sur trois. » Pour le choix du système, « on n’exclut rien a priori », insiste-t-il. « Gardons-nous des “y’a qu’à , faut qu’on” ! » Et d’annoncer une campagne d’« observation de ce qui se fait dans les pays européens, ou en France, sans exclusivité », et de rappeler que le futur délégataire des transports publics nancéiens sera en charge du matériel : « Ce sera à lui, aussi, de faire des propositions. Il est en droit d’avoir des idées ! »
A ce propos, Guy Pierron, le directeur du réseau Stan qui entend bien se succéder à lui-même, reste prudent : « Il faudra voir quel sera le meilleur moment pour arrêter le TVR ? et à quel prix ? – et comment on va vivre pendant la période de transition. Et bien sûr par quoi on le remplacera ! » Tous citent le trolleybus tricaisse, le Translohr ou, pourquoi pas, du tram fer « si le tramway dit léger permet de monter des pentes de 11 à 12 % ».
Si elles sont décidées, transformation de la ligne 1 et/ou construction d’un véritable TCSP pour la ligne 3 seraient réalisées « à l’horizon 2017, pas avant », estime Christian Parra. Ce n’est donc pas tout de suite que Nancy cédera ses TVR à Caen, qui en aurait bien besoin ! D’ici là , la communauté urbaine devrait aussi avoir beaucoup avancé sur sa « ligne 4 », aussi appelée tram-train. Il s’agit d’un train de banlieue qui utiliserait l’ancien chemin de fer de ceinture (qu’il faudra en partie reconstruire), passant à l’est du centre. Un groupe de travail a été mis en place avec la région, le département, le Syndicat mixte des transports suburbains de Nancy, les intercommunalités voisines, RFF et la SNCF, qui planchera plus généralement sur l’amélioration de la desserte ferroviaire du « bassin de vie ». Après avoir déjà réalisé une ligne de TCSP pendant ce mandat, le Grand Nancy aura-t-il les moyens de toutes ses ambitions sur le prochain avec ces lignes 1, 3 et 4 ? Réponse en chœur et sans appel de Laurent Garcia et Christian Parra : « Ca s’appelle un choix politique. »
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François ENVER