Accouché dans la douleur, le seul train à “grande vitesse” du pays a connu une jeunesse difficile. Son histoire commence en 1993, lorsqu’Amtrak complète l’électrification du “BosWash”, cette immense zone urbaine longue de plus de 800 km entre Boston et Washington. Toute la côte Est est alors électrifiée. L’idée naît alors de créer un service à grande vitesse reliant toutes les grandes villes de cette mégalopole : Boston, New York, Philadelphie, Baltimore, Washington, pour ne citer que les plus importantes. 60 millions d’habitants au total. Un potentiel énorme en termes de trafics.
Des entreprises européennes sont sollicitées pour des campagnes d’essais. Les Américains applaudissent des deux mains. Seul hic, les normes ferroviaires ne sont pas les mêmes des deux côtés de l’Atlantique. L’administration fédérale juge le matériel européen trop léger pour côtoyer les colossaux trains de fret américains et impose d’accommoder le matériel européen à la sauce nord-américaine. Pour répondre à l’appel d’offres, Bombardier et Alstom décident d’unir leurs forces. Le premier est très présent sur le continent, le second dispose de motrices à grande vitesse. Pari gagnant. Le consortium remporte le contrat en 1996, pour un montant de 600 millions de dollars. Et c’est là que s’arrête le long fleuve tranquille.
Car l’hybridation des matériels débouche sur un casse-tête interminable, où les ingénieurs d’Amtrak, de Bombardier et d’Alstom discutent les rames jusque dans leurs moindres détails. De contraintes en restrictions, les fabricants s’éloignent progressivement du modèle originel.
« Nous avons conçu un prototype, l’Acela est un projet de recherche et développement », explique Clifford Black, un porte-parole d’Amtrak. Fin 1999, lorsque la première rame est livrée, elle pèse deux fois plus lourd que les rames TGV français dont elle s’inspire. « Pour répondre aux normes américaines, nous avons créé l’un des trains les plus robustes qui soit, avec d’énormes capacités de freinage et d’accélération. »
Passés les premiers enthousiasmes, les cadres d’Amtrak doivent vite déchanter. Dès 1999, un premier défaut est mis à jour. Le matériel est trop large d’une dizaine de centimètres. Dans certaines courbes, le mécanisme de pendulation pourrait provoquer des collisions entre les trains. Des restrictions de vitesse sont donc décidées sur les tronçons à risques. A quoi s’ajoute une oscillation des roues très étrange, dont il faut déterminer l’origine, décalant d’autant la mise en service.
Lorsque le train est finalement inauguré, le 12 décembre 2000, l’objectif de relier Boston et New York en 3 heures n’est pas tenu. Il faut 3 heures 20 pour rejoindre “Big Apple” et plus de 6 heures et demie pour parcourir les 734 km de la ligne. Malgré des pointes théoriques à 240 km/h, l’Acela n’atteint sa vitesse maximale qu’à deux reprises. Sur le reste du parcours, la vitesse moyenne ne dépasse pas les 115 km/h. Un peu juste pour de la grande vitesse !
Pour ne rien arranger, la série noire se poursuit. Dans les années qui suivent sa mise en service, Amtrak découvre de nouveaux défauts dans le mécanisme d’ouverture des portes, les freins, les amortisseurs… Certains liés directement au poids excessif de la rame. A trois reprises, Amtrak est contraint de suspendre le service pour réaliser des inspections et adapter le matériel.
Cerise sur le gâteau. Amtrak et le consortium se traînent mutuellement en justice. Cet épilogue juridique – les poursuites seront ensuite abandonnées – se soldera par une révision de l’accord initial, notamment sur l’entretien des rames. En raison des coûts beaucoup plus élevés que prévu, il est décidé qu’Amtrak reprendra la main sur la maintenance. Depuis 2005, le matériel n’a plus connu d’incidents techniques majeurs.
Guillaume KEMPF