Sur la disparition bien précoce des tramways parisiens, on a beaucoup spéculé… Au soupçon d’une collusion d’intérêts privés entre deux grands patrons d’industrie, André Mariage et Louis Renault, on peut opposer l’explication proprement technique alors avancée : équipé enfin de pneumatiques, l’autobus est autorisé à rouler plus vite sur la chaussée parisienne !
Ce qui n’exclut pas qu’arracher les rails n’ait pas profité à Mariage ! Des rails arrachés ou simplement enterrés, dont Gilles Thomas a su retrouver les vestiges sous les pavés parisiens !
Une explication controversée
On sait bien que le tramway parisien souffrait d’une image négative bien avant 1914 – « roi de nos rues, encombrant, autoritaire et impotent » selon un juriste des transports, – image qui s’aggravera dans l’entre-deux-guerres : « pachydermes du rail, (…), tramways imbéciles et moutonniers (…), il suffit que l’un refuse d’avancer pour que ceux qui le suivent soient immobilisés jusqu’à la fin des temps », dénonce Le Petit Parisien du 6 décembre 1929. Sa disparition progressive, accélérée au début des années 30, a suscité de nombreuses explications de la part d’historiens spécialisés. Alors que le tramway survit et se développe même dans de grandes villes comparables, on a avancé les intérêts propres du « patron » de la STCRP, André Mariage, centralien de la promotion 1895, succédant à Louis Renault à la présidence de la Scemia, l’un des fournisseurs de la STCRP. Plus largement, « on ne peut s’empêcher d’établir des liens assez troublants entre la forte représentation des industries pétrolières et automobiles au sein de la STCRP, et la brusque disparition des tramways au profit des autobus. » L’affairisme de Mariage était notoire, dénoncé notamment en 1931 par Albert Manteau : ce « contribuable parisien » signe un violent pamphlet visant la corruption qui sévit à la Ville de Paris, Les comptes de Topaze et de l’administration, ironiquement dédié à la mémoire du procureur de la Cour des comptes.
Les éléments rassemblés ci-dessous viennent plutôt infirmer cette thèse d’une collusion d’intérêts avec Renault qui aurait « coûté la vie » aux tramways parisiens. En 1929, Mariage était réticent à leur remplacement, opération coûteuse initiée en 1927 (voir tableau) : la substitution de l’omnibus PN à 38 places au tramway ne s’avère pas une bonne opération économique, explique-t-il aux actionnaires de la STCRP, car il mobilise deux agents alors qu’un tramway et sa remorque offrant 110 places occupent trois agents. Dominique Larroque explique le changement d’attitude en faveur de l’autobus par la mise en œuvre de l’avenant de 1931 à la convention d’affermage de 1921 qui lie la STCRP au département de la Seine : « Cet avenant, entre autres dispositions, instituait en effet une allocation forfaitaire de 6 % des dépenses de premier établissement au profit de l’exploitant à titre de remboursement des frais généraux, mesure couvrant naturellement les frais d’acquisition et d’installation des autobus. Il indiquait en outre qu’en cas de substitution, les charges d’amortissement relatives aux tramways cesseraient d’être imputées à la STCRP. Il entérinait enfin le fait que le démantèlement des tramways reportait à la charge du département, sans compensation, les dépenses d’entretien de la chaussée sur la largeur occupée par les voies et l’entrevoie. Mises bout à bout, ces dispositions offraient sans conteste une prime incitative à la substitution, à laquelle, cela se conçoit, la STCRP s’est montrée sensible. »